Dans l’imaginaire collectif, lorsque l’on parle de viol, on a tendance à imaginer une jeune fille, frêle et sans défense, contrainte physiquement par un inconnu dans une ruelle sombre. A titre d’exemple, nous pourrions citer ici la scène du film irréversible de Gaspar Noé, durant laquelle un long travelling accompagne la descente de l’actrice Monica Bellucci dans un passage souterrain où le réalisateur filmera son agression durant près de 15 minutes. Pourtant, les chiffres démontrent que cette vision du viol est caricaturale, puisqu’en Belgique, 75% des viols ayant fait l’objet d’une enquête ont été commis par une personne connue de la victime et que deux tiers de ces agressions se déroulent dans la sphère intrafamiliale[1].

Comment expliquer ce décalage entre les faits et la représentation que nous nous faisons du viol ? Cette méconnaissance quant à sa réalité peut s’expliquer par ce qu’on appelle une « culture du viol » : notre société aurait du mal à reconnaître le viol (ainsi que d’autres violences sexuelles), voire le tolérerait, l’excuserait et même, l’approuverait en brouillant les pistes quant à sa définition. Cette tendance s’exprimerait de manière transversale par le biais de nos outils de reproduction sociale comme la justice, la politique, l’éducation et bien sûr les médias. Culpabilisation des victimes, agresseurs qui prétendent au malentendu, circonstances atténuantes : ceci expliquerait-il pourquoi près de 90% des délits sexuels ne sont pas déclarés aux services de police ?[2]

La culture du viol, difficile à admettre ?

La culture du viol peut être définie comme “un appareil de pensée, de représentation, de pratiques et de discours qui excusent, banalisent, érotisent voire encouragent la violence sexuelle.[3]” Ce concept est difficile à appréhender parce qu’il semble évident pour tous et toutes que le viol est un crime, dont il faut défendre les victimes et punir les coupables.

Pourtant, cette propension à condamner le viol s’affaiblit très fortement dès que le déroulement de ce dernier s’éloigne de l’image très stéréotypée de l’agression d’une jeune fille par un inconnu, décrite en introduction :

  •  Si la victime est une fille considérée comme “sexuellement attirante” (ce qui pourrait se traduire par son habillement – jupe courte, vêtements moulants – mais aussi simplement par son allure physique – poitrine généreuse, par exemple), on pourrait estimer qu’elle en partie responsable de son malheur, en ayant provoqué son agresseur.
  • Si elle était seule, on estimera qu’elle aurait dû être consciente qu’elle encourait un danger. De même si elle était sous l’influence de l’alcool ou de la drogue.
  • Si en revanche, elle ne correspond pas aux critères de beauté contemporains, on doutera d’elle : pourquoi un violeur s’en serait-il pris à elle alors qu’il y a tant de jolies filles ? Ne cherche-t-elle pas à attirer l’attention ?
  • Si le violeur est son compagnon, on laissera sous-entendre qu’il s’agit sans doute d’un malentendu. 
  • etc.

Sans en être toujours conscients, nous véhiculons et intériorisons ces mythes : ils imprègnent notre culture et se reflètent donc dans notre univers médiatique, qui contribuent à les répandre. Repérer les films et séries qui, sans pour autant parler de viol ou d’agression sexuelle, nient et minimisent l’importance du consentement sexuel, culpabilisent les victimes, excusent ou valorisent les agresseurs permet de comprendre combien notre société – et nous-mêmes – sommes imprégnés par cette culture du viol.

Mythe n°1 « Me fais pas le coup de la migraine »

La société a longtemps considéré les relations sexuelles entre époux comme un « devoir conjugal », une “bonne vieille habitude” qui profitait plus souvent au mari qu’à sa conjointe, ceci s’expliquant notamment par une représentation patriarcale de l’organisation sociétale et familiale, où le bien-être du “chef de famille” garantissait la pérennité des structures. Si depuis, la loi a changé [4] et reconnaît maintenant comme un fait le viol conjugal, les mentalités mettent plus de temps à évoluer : la culture populaire, et plus particulièrement les sketchs et les comédies, regorgent d’exemples indiquant que si une femme n’a pas envie de relation sexuelle, elle a intérêt à avoir une bonne excuse (mal de tête, période de règle, etc.), le manque d’envie n’étant pas envisagé comme une raison suffisante pour ne pas “passer à la casserole”.

Dans quel film ?

Dans le tout premier épisode de la série Game of Thrones), la princesse Daenarys est mariée de force au chef de clan Khal Drogo, ce qui conduira à une nuit de noces tragique : face à la mer, elle est en pleurs, déshabillée par son mari, qui feint de ne pas entendre ses protestations.

Où est le problème ?

Cette scène a provoqué beaucoup de discussions sur la toile afin de déterminer s’il s’agissait d’un viol ou non, alors qu’il est clair que Daenarys ne consent pas à la relation sexuelle. Certains commentaires invitaient à relativiser cet acte, dès lors qu’il s’inscrivait dans un contexte particulier : l’univers de Game of Thrones est moyen-âgeux, les règles qui le régissent ne sont donc pas les mêmes que dans notre propre monde. Cependant, cette scène de viol ne figurait pas dans le récit originel de Game of Thrones mais seulement dans son adaptation télévisuelle. Pourquoi avoir opté pour ce choix scénaristique ? A noter également que la suite des événements fait place à un happy end : sans l’ombre d’un trauma, Daenarys prend sur elle pour domestiquer la sexualité de son mari et accéder à une expérience plaisante pour elle et son conjoint. Une représentation peu réaliste du vécu des victimes de viol, qui contribue bien à brouiller les pistes quant à la reconnaissance de ce crime.

Mythe n°2 : « Quand elle dit non, c’est oui »

Le « baiser volé » est une figure connue du cinéma et en particulier des scènes d’amour : on y retrouve souvent le scénario de la fille distante, n’envoyant pas de signaux d’attirance à un garçon, jusqu’à ce qu’il la plaque soudainement contre un mur pour l’embrasser – sans lui demander son avis. La fille, surprise, se laisse faire et répond ensuite au baiser fougueux, découvrant et dévoilant subitement ses sentiments.

Dans quel film ?

Dans Star Wars – L’empire contre attaque (1980), le héros Han Solo embrasse la princesse Leia, alors que celle-ci s’en défend. Malgré le fait qu’il s’agisse d’un acte intime non consenti, la musique et la mise en scène rendent cette scène romantique, l’entourant d’une certaine tension sexuelle.

Où est le problème ?

Ce schéma encourage le schéma pernicieux du « No means yes », c’est-à-dire que l’homme saurait mieux que la femme ce qu’elle désire “vraiment”, induisant également l’idée qu’à force d’insister, elle finira par céder. Or, céder n’est pas consentir. Ce scénario récurrent est donc problématique dans la mesure où il considère le consentement comme négociable et rend sexy ce qui, sans artifice, serait considéré comme une agression sexuelle.

Mythe n°3 : « Tous les coups sont permis » ou les « experts en séduction »

La figure de « l’expert en séduction » est populaire : prenons Joey Tribbiani de la série Friends ou Barney dans How I met your Mother, ou encore le personnage interprété par Will Smith dans Hitch (2005) ou par Jude Law dans Irrésistible Alfie (2003). Se présentant comme des hommes qui “chassent” des femmes (et rarement l’inverse), les experts en séduction laissent peu de place à l’initiative féminine et font découler de leur expérience des schémas qui garantiraient la réussite de leur quête amoureuse, amenant à penser que les femmes fonctionnent toutes de la même manière.

Dans quel film ?

Dans la série How I Met Your Mother, le personnage de Barney, séducteur sympathique bien que très égocentrique, élabore tout un panel de stratégies pour coucher avec des femmes, y compris la manipulation, le mensonge, la surprise … ce qui pose bien sûr la question de la validité du consentement des femmes ! Barney ne sera cependant jamais montré comme un harceleur ou un agresseur, mais comme un personnage viril, presque héroïque, que de nombreux hommes prennent pour modèle. Dans l’épisode 8 de la saison 5, on découvre que Barney a écrit un livre qu’il appelle le Playbook dans lequel il décrit toutes ses techniques de drague mais aussi des règles sur la séduction, comme ne jamais faire passer une fille avant un ami. Parmi ses techniques, il y a par exemple ce qu’il appelle la technique Lorenzo Von Matterhorn où il va jusqu’à s’inventer une identité d’homme célèbre en mettant en ligne plusieurs articles glorifiant son faux personnage, afin d’attirer une jeune femme:

“Accostez une fille dotée d’un smartphone, dites lui modestement « Oui, c’est bien moi » et répétez-lui votre nom, puis absentez-vous quelques minutes. Persuadée de ne pas vous connaître mais curieuse, elle vérifiera sur internet votre nom et tombera sur vos faux sites. Revenez la voir. Impressionnée par ce que vous avez fait (d’après les dires de vos sites), elle cédera à vos avances. Mission accomplie.”[5]

Une autre des techniques, celle du “ magicien” consiste à s’approcher d’une femme, à lui demander si elle aime la magie et à ensuite menotter un de ses poignet au sien. L’homme fera ensuite semblant d’avoir oublié la clé chez lui, sur sa table de chevet, ce qui contraindra la femme à accompagner l’homme jusqu’à son lit pour être délivrée.

Où est le problème ?

En dépeignant la femme comme une cible, elle est déshumanisée, tandis que le séducteur sera prisé pour sa ruse. La question n’est pas ”quel genre de rapport cette femme souhaite-t-elle ?” mais plutôt “grâce à quelle tactique l’homme séduira-t-il cette femme ?” Un rapport de force s’installe, où la possibilité que la femme dise non est inconcevable. En représentant la manipulation comme une tactique de séduction comme une autre, on pose la question de la validité du consentement : pour dire vraiment “oui”, il faut avoir à disposition toutes les informations nécessaires, sinon il s’agit d’un abus de confiance.

En terme de réception, les « experts en séduction » ont du succès auprès de certains hommes, qui les voient comme des modèles masculins à suivre. Nombreux sont les sites et les blogs “spécialisés dans la séduction” qui analysent les méthodes de Barney et son playbook, mais aussi celles d’autres personnages de film pour “faire tomber les filles”. Pas sûr que ces hommes puissent entendre les signaux de non-consentement dans cette disposition d’esprit où l’important est d’ajouter des femmes à son tableau de chasse.

Mythe n°4 : « Elle me veut »

Si un homme s’intéresse à une femme, comment peut-il savoir si il lui plaît en retour ?  Il suffirait de lui demander, mais certaines séries ou films jouent sur des soi-disant signaux et comportements qui pourraient indiquer qu’une femme est disponible sexuellement : le fait qu’elle soit seule dans un lieu de sociabilité, qu’elle ait bu ou qu’elle s’amuse, qu’elle soit habillée de façon sexy (comme c’est sous-entendu dans le film Ce que veulent les femmes). Ces scènes courantes alimentent le mythe qu’une tenue vestimentaire ou qu’une attitude peuvent être considérées comme un consentement sexuel implicite chez une femme, alors que chez l’homme, ces marqueurs n’ont évidemment pas d’équivalent.

Dans quel film ?

Tout au long de la série des neuf saisons de la série How I Met Your Mother, le bar est décrit comme un endroit de chasse pour Barney, mais aussi pour Ted. Les jeunes femmes seules qui commandent un verre au bar sont des cibles privilégiées pour eux. Par exemple, dans le premier épisode de la saison 1, Barney et Ted joue au jeu Have you met Ted ? (Est-ce que vous connaissez Ted?), qui consiste à présenter une fille qu’il ne connaît pas à son ami pour lui permettre d’engager la conversation avec elle. Les filles qui sont seules sont considérées comme célibataires et comme des proies à chasser.

Où est le problème ?

Ces scènes courantes alimentent le mythe qu’une tenue vestimentaire ou qu’une attitude peuvent être considérées comme un consentement sexuel implicite chez une femme, alors que chez l’homme, ces marqueurs n’ont évidemment pas d’équivalent. De plus, la culture du viol questionne la place des femmes dans l’espace public : les espaces extérieurs sont présentés comme des endroits où les femmes sont légitimement abordables puisqu’elles sont sur le « territoire» des hommes, s’y rendre revient dès lors à se montrer « disponibles » et à renoncer à être pleinement en sécurité. Les chiffres sur le viol démonte cependant cette idée reçue, puisqu’on réalise que les espaces intérieurs ne sont pas davantage sûrs : les agressions sexuelles ont majoritairement lieu au domicile de la victime ou de l’agresseur.

Mythe n°5 : « Je ne suis qu’un homme »

Le mythe de l’insatiabilité sexuelle des hommes est tenace : ils ne pensent qu’à “ça”. De nombreux films alimentent l’idée fausse du besoin sexuel irrépressible des hommes.

Dans quel film ?

Dans  Californication, l’appétit sexuel du héros Hand Moody est l’un des fils rouges de la série et d’innombrables films comme 40 ans et toujours puceau ou Irrésistible Alfie encouragent cette idée de dépendance des hommes au sexe. Dans le film Les infidèles, le personnage Greg observe deux jeunes femmes de bonne humeur qui rient  à la table d’un bar. Il accuse alors ces femmes de jouer les tentatrices (“l’appel des sirènes”) et de “foutre le bordel dans sa vie”. Selon lui, c’est à cause de femmes comme elles qu’il est incapable de rester fidèle à son épouse.

Où est le problème ?

Bien que ces personnages soient décrits comme sympathiques et drôles, cette image n’est pas vraiment valorisante pour les hommes, qui sont réduits au statut d’animal, incapable de se contrôler. Mais surtout, elle excuserait le violeur, qui ne serait dès lors plus un criminel mais juste un homme qui n’aurait pas pu résister à ses pulsions. Et puisque c’est dans la nature profonde des mâles de désirer sans raison, la faute sera plus facilement reportée sur la victime, qui aura sans doute provoqué le grand méchant loup.

Mythe n°6 : « Elle veut se venger »

Les scénarios où une femme accuse un homme d’un viol dans le seul but de ruiner sa vie, sa carrière ou de se venger de lui sont fréquents.

Dans quel film ?

Dans dans l’épisode 11 de la saison 2 la série Dexter, l’ex-copine de Dexter accuse de viol Angel, un ami du personnage principal, pour exercer une pression sur ce dernier et tenter de récupérer son coeur. En plus de présenter son ex-copine comme complètement folle, Dexter insiste bien sur le fait que son ami n’aurait jamais fait ça, parce qu’il est gentil : un “type bien”, mentalement équilibré – ce qui l’écarterait de tout soupçon de viol.

Où est le problème ?

Même s’il est difficile d’admettre qu’un collègue, un ami, un frère ou un père puisse être un violeur, il est important d’élargir nos représentations, pour pouvoir mieux identifier le viol : comme mentionné dans l’introduction de cet article, la majorité des viols sont commis par des personnes connus de la victime. Cette récurrence est par ailleurs problématique parce qu’elle alimente la croyance répandue que les victimes de viol mentent. Or, il n’y a pas de chiffres fiables l’affirmant et comme le soulignaient plusieurs militantes du site féministe Simonae, le parcours d’une femme prête à dénoncer son violeur n’est pas une promenade de santé : « Une femme n’a aucun intérêt à inventer un viol : dénoncer son violeur (que l’on porte plainte ou non), c’est prendre le risque de voir sa parole remise en cause, d’être accusé·e d’avoir provoqué le viol, de « gâcher la vie » de son violeur […], de voir sa vie sentimentale et sexuelle exposée au grand jour comme « preuve » qu’on ne peut pas avoir été violé·e, d’être menacé·e et agressé·e en représailles. » [8]

Mythe n°7 : « J’adorerais qu’elle me viole »

Les hommes aussi peuvent être victimes de viol, bien que cela soit moins fréquent. Pour rappel, 91% des victimes sont des femmes et 96% des auteurs de viols sont des hommes. [7] Pourtant, au cinéma, quand les hommes sont victimes de viols, ils sont souvent ridiculisés et pas vraiment pris au sérieux.

Dans quel film ?

Dans Serial Noceurs, le personnage de Jeremy est attaché pendant la nuit à son lit par Gloria, une fille dépeinte comme “fofolle”, désireuse d’accomplir pour lui tous ses fantasmes. Le viol est ici montré comme une aubaine pour l’homme, vu qu’il “ne pense qu’à ça” (voir le mythe « Je ne suis qu’un homme ») et Jeremy finira d’ailleurs par tomber amoureux de sa violeuse, puisqu’il s’agit d’une femme qui aime encore plus le sexe que lui ! Dans le film 40 jours et 40 nuits, Matt est également attaché à son lit et violé alors qu’il s’était décidé à réaliser une période d’abstinence de 40 jours. Lorsque sa copine le retrouve dans cette situation, elle lui reproche une attente inutile, sans s’émouvoir de l’expérience qu’il vient de vivre puisque, à nouveau, un homme ne peut que se réjouir d’avoir un rapport sexuel, qu’il y soit contraint ou non.

Où est le problème ?

Ce mythe, ressort fréquent des comédies, tourne en dérision les victimes masculines de viols, en faisant de leur expérience une farce. Cela ne contribue certainement pas à briser le tabou qui entoure les agressions sexuelles subies par des hommes.

Consentement et séduction : sortir des carcans masculins et féminins 

La loi belge défini le viol comme « tout acte de pénétration sexuelle, de quelle que nature qu’il soit et par quelque moyen que ce soit, commis sur une personne qui n’y consent pas [8] ».  La notion de consentement y est centrale et pourtant, elle n’est pas encore acquise, comme l’illustrent bien les exemples cités ci-dessus.

Même dans les milieux féministes et universitaires aussi, la question du consentement reste très débattue : comment définir le consentement libre ? Est-ce que céder à des demandes insistantes, c’est vraiment consentir ? Peut-on consentir dans une société marquée par le patriarcat, où la seule option pour la femme est d’être vue comme une salope ou une fille coincée ?  Selon Catharine Mac-Kinnon, juriste et militante féministe, la réponse est non.

« [Catharine Mac-Kinnon] raille cruellement le mouvement de libération sexuelle en le décrivant comme une injonction adressée aux femmes à libérer leur sexualité pour répondre au désir des hommes. Selon elle, les tenants de la révolution sexuelle posent que le viol disparaîtrait mécaniquement si les femmes consentaient davantage, et ne font qu’épouser l’idéal d’un épanouissement sexuel entièrement produit par les structures de la domination masculine [9] ».

Parallèlement, des féministes du mouvement pro-sexe ont mis en évidence que la notion de consentement n’est pas toujours validée, lorsqu’elle concerne des activités réprouvées par la société.

« C’est bien sûr le cas des travailleurs et des travailleuses du sexe, ou dans une certaine mesure de celles et ceux qui pratiquent une sexualité sado-masochiste (SM), et dont la capacité décisionnelle est systématiquement remise en question au sein des sociétés où ils exercent, soit au nom d’un idéal qui ne permet pas de consentir à certaines activités (la dignité humaine par exemple), soit au nom d’une qualité de raisonnement que l’aliénation des personnes rendrait nécessairement déficiente [10]. »

Ces questions sont pointues et délicates mais demeurent intéressantes dans la mesure où elle nous éclaire sur un point : la notion de consentement s’inscrit dans un contexte sociétal et il y a lieu de comprendre dans quels types de rapports le consentement, mais aussi le désir féminin peut s’exprimer. Les relations hommes-femmes sont asymétriques dans notre culture : les femmes exprimant leur désir sont encore régulièrement stigmatisées et l’initiative d’une relation sexuelle est largement laissée aux hommes (encouragés par l’image du mâle alpha ou du séducteur-chasseur). Ces rôles sont limitants, mais surtout, ils  participent à la domination masculine en mettant le corps des femmes au service de l’homme. La solution à cette impasse serait alors de redéfinir la séduction et d’assouplir les rôles dans lesquels sont enfermés les hommes et les femmes, comme le propose Eric Fassin qui plaide pour une « théorie féministe de la séduction ».

« […] pourquoi l’asymétrie serait-elle définie a priori, [par] la pudeur féminine répondant aux avances masculines, comme si les rôles sociaux ne faisaient que traduire une différence des sexes supposée naturelle ? Autant dire que les relations de même sexe seraient dépourvues de séduction ! » La dénaturalisation de la séduction participe ainsi d’une dénaturalisation de la domination [11]. »

Alors, à quand des films où les femmes expriment leur désir de façon positive et sans qu’il ne soit forcément une réponse à un besoin masculin ? A quand des personnages masculins qui laissent l’initiative sexuelle aux femmes et mettent en valeur d’autres modèles que celui du mâle alpha ? Ils émergent tout doucement dans les séries. Par exemple, dans Orange is the new black qui met en scène une grande diversité de femmes aux désirs et personnalités très différentes et qui ne sont pas définies par leur relation avec un autre homme, mais bien par leur propre histoire. [12]

D’autres séries dénoncent le slutshaming [13], comme 13 reasons why qui montre comment les jeunes d’un collège harcèlent l’héroïne et utilisent sa vie sexuelle comme une arme contre elle. Dans cette série, le modèle du mâle alpha est critiqué, incarné notamment par plusieurs joueurs de l’équipe de football du collège, et des modèles de masculinité alternatifs sont proposés, comme le personnage principal, Clay, sensible, intelligent et s’insurgeant du traitement réservé à sa camarade. Dans la série Dear White People, le personnage de Reggie, bien qu’on lui attribue l’apparence du parfait sportif / mâle alpha, est en réalité un garçon très instruit, qui montre ses émotions, écrit des poèmes et pleure sans que cela ne soit présenté comme honteux ou ridicule. Il lutte en concurrence avec Gabe pour le coeur du personnage principal, Sam. Ce premier est à son tour un garçon sensible, se montrant à l’écoute des désirs et des opinions de sa dulcinée. Si une certaine rivalité s’installe entre les deux hommes, elles ne se fait en tout cas pas au détriment de la femme qu’ils convoitent. Bien que ces nouveaux personnages ne seront sans doute pas suffisants pour redéfinir les rôles sociaux des hommes et des femmes et remettre en question le modèle patriarcal, ils montrent tout de même une certaine évolution de notre société sur cette question et laissent espérer des cases moins étriquées pour les femmes comme les hommes, où les désirs et la sexualité de chacun seraient traités avec respect et ouverture.

Cécile Goffard et Elisabeth Meur-Poniris

[1] Chiffres de SOS Viol

[2] https://www.amnesty.be/IMG/pdf/mcmd_viols.pdf

[3] Nathalie Blu-Perou, Culture du viol : quand Le Point conseille aux femmes d’ « accepter la brutalité », publié par Le Plus de l’Obs, 24/7/14  http://leplus.nouvelobs.com/contribution/1226562-culture-du-viol-quand-le-point-conseille-aux-femmes-d-accepter-la-brutalite.html

[4] Depuis 1989, le viol entre époux est punissable par la loi belge.

[5]  J-C, How I Met Your Mother : 10 techniques de drague validées par Barney Stinson, 30 mars 2015. Consulté le 1er juillet sur http://www.programme-tv.net/news/series-tv/64255-how-i-met-your-mother-10-techniques-de-drague-validees-par-barney-stinson/

[6] https://simonae.fr/militantisme/feminismes/les-bases/expliquez-culture-du-viol/

[7] http://www.victimedeviol.fr/concernant-les-victimes.html

[9] https://www.amnesty.be/IMG/pdf/mcmd_viols.pdf

[10] Alexandre Jaunait, Frédérique Matonti « L’enjeu du consentement », Raisons politiques 2012/2 (n° 46), p. 9

[11] Alexandre Jaunait, Frédérique Matonti « L’enjeu du consentement », Raisons politiques 2012/2 (n° 46), p. 10

[12] Éric Fassin, « Au-delà du consentement : pour une théorie féministe de la séduction», Raisons politiques 2012/2 (n° 46), p. 64

[13] http://www.madmoizelle.com/slut-shaming-115244